Longtemps je me suis demandé pourquoi le bon Dieu avait des
préférences, pourquoi toutes les âmes ne recevaient pas un égal degré de grâces, je m'étonnais en le
voyant prodiguer des faveurs extraordinaires aux saints qui l'avaient offensés, comme saint Paul,
saint Augustin et qu'il forçait pour ainsi dire à recevoir ses grâces ; ou bien en lisant la vie des
saints que Notre-Seigneur s'est plu à caresser du berceau à la tombe, sans laisser sur leur
passage aucun obstacle qui les empêchât de s'élever vers lui et prévenant ces âmes de telles faveurs
qu'elles ne pouvaient ternir l'éclat immaculé de leur robe baptismale, je me demandais pourquoi les
pauvres sauvages, par exemple, mouraient en grand nombre avant d'avoir même entendu prononcé le nom
de Dieu...
Jésus a daigné m'instruire de ce mystère. Il a mis
devant mes yeux le livre de la nature
et j'ai compris que toutes les fleurs qu'Il a créées sont belles, que l'éclat de la rose et la
blancheur du lys n'enlèvent pas le parfum de la petite violette ou la simplicité ravissante de la
pâquerette... J'ai compris que si toutes les petites fleurs voulaient être des roses, la nature
perdrait sa parure printanière, les champs ne seraient plus émaillés de fleurettes...(...)
J'ai compris encore que l'amour de Notre-Seigneur se révèle aussi
bien dans l'âme la plus simple qui ne résiste en rien à sa grâce que dans l'âme la plus sublime.
(...)
De même que le soleil éclaire en même temps les cèdres et chaque
petite fleur comme si elle était seule sur la terre, de même Notre-Seigneur s'occupe aussi
particulièrement de chaque âme que si elle n'avait pas de semblables ; et comme dans la nature les
saisons sont arrangées de manière à faire éclore au jour marqué la plus humble pâquerette, de même
tout correspond au bien de chaque âme.
Sainte Thérèse de Lisieux ou la petite Thérèse
Manuscrits autobiographiques, p.20-22
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